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Quel financement futur pour les Organisations Internationales Non Gouvernemental

Par Fernand Vincent

Cet article relate le témoignage et les interrogations d’un praticien, dont toute la vie professionnelle a consisté à être engagé sur le plan international pour faciliter le développement local.

Face aux nouvelles tendances de l’aide, en particulier à celle de certains donateurs ONG du Nord, à diminuer, voire supprimer, leur aide aux coordinations internationales des OING, le travail de ces Mouvements, réseaux ou associations est en question. Il faut réagir et dialoguer.

Les faits

Depuis quelques années, plusieurs donateurs qui financent les OING, ont diminué, voire supprimé, leur aide aux ONG internationales, spécialement le financement des activités des Secrétariats Généraux de ces OING.

Secrétaire Général de plusieurs OING au cours de ces dix dernières années, j’ai « vu venir » ce changement de stratégie et mes successeurs ont subi les retombées de ces décisions : ils n’ont plus pu assumer les charges de leur gestion, ils ont progressivement « dégraissé » les effectifs de leur secrétariat et finalement ils ont dû chercher du travail ailleurs, car leur propre salaire n’était plus assuré. Or pendant ce temps, les associations fédérées continuaient à recevoir directement l’aide de ces mêmes agences. .

Les conséquences de la nouvelle politique des donateurs

Ainsi donc, les cellules d’animation, de coordination et de représentation internationale de ces mouvements, réseaux et associations internationales ne pouvaient survivre et disparaissaient.

Hier encore, dans mon bureau, un jeune dirigeant d’une importante organisation internationale de jeunesse me disait son désarroi et celui de ses amis d’autres mouvements internationaux de jeunesse devant les conséquences graves que va engendrer cette stratégie de retrait.

La situation actuelle est sérieuse et j’ai l’impression que l’on ne mesure pas les conséquences de ces politiques à sens unique.

En effet, au moment où le monde se globalise, où le business se mondialise davantage encore, où plus que jamais la solution à un problème local se trouve dans une réponse globale, l’aide se disperse, s’éparpille au nom d’une efficacité plus grande !

L’aide veut financer « un puits au Sahel » ou « la machine à coudre d’une brave villageoise »
ou au mieux un séminaire de formation ou une route de desserte agricole, mais rechigne ou refuse de financer le coût de ceux qui ont été et sont encore les initiateurs et coordinateurs de l’action de tout leur mouvement ! « Frais généraux…dit-on ! Comme si nous étions des frais généraux parce que nous ne vivons pas la réalité du terrain ! Mais de quel terrain s’agit-il ? »

En même temps pourtant, certaines aides délèguent leurs représentants à Porto Alegre ou Mumbai ou financent la représentation de délégués du Sud à ces conférences internationales. Mais quel est le discours et quelles sont les conclusions des travaux de ces sommets mondiaux sociaux ? :

Se regrouper, former des réseaux, chercher ensemble des alternatives concrètes, etc. Tout le contraire d’une action limitée et locale. Une approche macro, globale construite à partir du local. On appelle cela le « glocal ». Alors, pourquoi ne plus financer ceux qui à longueur d’années font un tel travail ? C’est la question que nous posons à nos donateurs.

Comment en est-on arrivé là ?

Il faut d’abord regarder les erreurs commises par les OING.

On nous fait le reproche d’être déconnectés du terrain, de vouloir représenter les responsables du Sud, de manquer de compétences et d’efficacité, d’être trop coûteux et on justifie sa position par le manque d’argent dû à des rentrées de recettes plus faibles.

Certes, il y a des incompétents et il n’est pas question de les défendre. Encore que, quand il s’agit de mouvements de jeunes, il faut les aider à se renforcer par des formations adaptées. Mais les dirigeants d’OING que je côtoie ne sont pas incompétents ; ils viennent de la base, ils ont progressivement pris des responsabilités à l’intérieur de leur mouvement et ont été élu démocratiquement par les leurs. Ce sont donc eux les délégués au dialogue sur le plan international.

Certes, les donateurs subissent les pressions que nous connaissons. Tout d’abord celles de leurs souscripteurs de dons qui veulent voir « tous leurs sous dépensés au village », comme si cela était possible sans grande casse. Il est intéressant du reste de constater que certaines agences d’aide en
reviennent aux vieilles méthodes pour rechercher leur financement : « l’image misérabilis ». De quoi nous questionner sur le fond et la raison de nos engagements réciproques.

Par ailleurs, et de plus en plus, certains donateurs reçoivent des fonds importants, quelquefois proches de 100% de leur propre gouvernement du Nord. Il leur arrive même de se trouver, lors de conférences internationales dans leur délégation gouvernementale Nord alors que les autres ONG ou OING sont dans les places réservées à la société civile. Nous sommes donc en droit de nous interroger sur les conséquences et influences politiques de certaines aides gouvernementales acceptées et gérées par les ONG du Nord. Il s’agit de construire dans le dialogue un partenariat adulte et véritable où ensemble, dans le Nord comme dans le Sud, nous nous engageons pour défendre de mêmes causes et de mêmes valeurs.

Le financement direct

De plus en plus de donateurs ont décidé de décentraliser leurs décisions et d’agir directement sur le terrain. Ils veulent que leur aide bénéficie aux plus démunis des villages et des quartiers. Pour ce faire, ils financent des délégués locaux, chargés d’identifier les projets et de les négocier. Ils privilégient le financement de ces projets locaux au détriment des activités internationales et quelquefois court-circuitent directement les représentants régionaux et internationaux des OING, pourtant élus démocratiquement. Il faut aussi comprendre que le besoin de financement local met les responsables locaux de ces mouvements devant un dilemme : ou accepter l’aide directe dont ils ont besoin ou mourir.

J’ai suivi au cours de ces dernières années les conséquences de ce financement direct et j’invite les donateurs à en faire l’évaluation. Nous constaterons certes des effets positifs de tels financements, mais aussi de nombreuses erreurs graves et une grande inefficacité due à un manque de formation à la gestion. Certaines agences en ont même re-demandé l’aide et les services d’ONG intermédiaires !
Je ne voudrais pas laisser l’impression que les Organisations populaires ne savent pas gérer ; non certaines d’entre elles sont très compétentes (souvent grâce au long appui accordé par les ONG locales et leurs cadres régionaux) ; tant mieux, notre objectif commun est leur autonomie. Mais agir en concertation est nécessaire et beaucoup plus efficace. Des fonds communs d’appui, gérés ensemble, avec les OP doivent être créés et financés.

Par ailleurs, quand une ONG locale d’appui a permis l’autonomie d’une OP grâce à son appui de plusieurs années, il est intéressant de connaître quel type de nouvel appui est demandé par ces mêmes OP : Information, accès aux marchés, études, préparation de dossiers stratégiques, etc.

Nous tirerons donc la conclusion que quand le financement direct est souhaitable, il doit avoir lieu, mais qu’il ne signifie pas la fin de l’appui financier du donateur aux ONG d’appui et aux cadres régionaux et internationaux des mouvements.

L’enjeu mondial auquel nous avons tous à faire face

Donateurs, OING, ONG, OP, nous avons en fait tous à faire face aux mêmes enjeux.

Nous voulons « des alternatives concrètes et faisables pour qu’un autre monde soit possible ».

Nous avons les mêmes réserves et les mêmes critiques quant à la mondialisation qu’on nous impose actuellement. Nous croyons tous que le développement doit permettre aux plus déshérités sur le terrain
de grandir et pour cela d’être respectés et soutenus dans leurs propres démarches et efforts.

Mais le changement que nous souhaitons exige de nouvelles structures et quelquefois de nouveaux responsables. Nous devons donc nous atteler et travailler tous ensemble dans ce but, ce qui rend nécessaire une action locale et globale et une répartition, décidée en commun, de nos efforts de nos compétences et de nos engagements.

Les ONG d’appui locales, les structures régionales et internationales des mouvements sont essentielles pour que cette démarche aboutisse à des résultats. Des Réseaux doivent être appuyés et se créer ; des coalitions se former pour que l’action de changement local puisse trouver son intégration dans l’action globale.

Quelle autonomie financière des OING ?

Toutes les agences d’aide demandent que leurs partenaires leur prouvent qu’ils seront un jour autonomes financièrement. Est-ce réaliste ?

Une ONG de service qui coopère avec des partenaires terrain ne peut devenir autonome qu’à 40-50% maximum (le demandeur de services ne peut payer le prix coûtant du service demandé) ou si elles dépassent ces normes, elles se détourneront de leur but initial et deviendront progressivement des bureaux d’études financés par les contrats des agences d’aide, des banques de développement et de leur gouvernement local. Elles auront abandonné peu à peu leurs partenaires initiaux, les groupes de femmes et d’hommes des villages, car ces derniers ne peuvent payer les honoraires nécessaires pour être autonomes.

Une organisation populaire, de producteurs, de commerçants peut progressivement obtenir son autonomie financière, mais à long terme, après formation et accompagnement, par la création de petites entreprises de production et de commerce. Mais cela exige beaucoup d’efforts et d’appui.

Quoi faire alors ? Demander l’aide des gouvernements locaux ou des membres de l’association ?
Nous connaissons les réponses. On oublie cependant souvent que dans le Nord, certaines ONG ne vivent grâce aux seules contributions de leurs membres (plus riches que ceux du Sud il est vrai) ou grâce aux aides sociales de leur gouvernement central ou local. Hélas cela n’est pas possible dans les pays du Sud, sauf certains d’Asie.

Qui est allé jusqu’au bout de ce raisonnement et s’est posé la question de savoir ce qui arrivera quand l’aide disparaîtra ; cela arrivera bien un jour, nous le savons et nous l’avons expérimenté personnellement : les Secrétariats Généraux des OING disparaissent, les mouvements locaux se replient sur eux-mêmes, il n’y a plus d’action globale et c’est grave ….

Capitaliser les grandes institutions ; c’est-à-dire créer des fondations et souscrire des « endowments » pour les capitaliser de façon à financer par les intérêts des placements , 40 à 50 % de leurs revenus, ce serait la sagesse. Mais l’aide actuelle n’est pas prête à cela, pire elle réclame qu’on lui retourne les montants de toute dépense non effectuée ou les intérêts des placements des versements reçus ; elle verse souvent ses contributions en fin d’année budgétaire, obligeant l’OING à s’endetter, elle refuse les propositions de financer l’infinançable : les salaires de coordination et de gestion globale, les dépenses de recherche et de représentation.

Que faire ensemble ?

Nous devons nous asseoir, agences et donateurs, OING, ONG et OP pour parler et dialoguer. La politique suivie actuellement est dangereuse et risque bien de nous décevoir un fois de plus.

Un partenariat adulte exige que les bénéficiaires directs des fonds distribués par l’aide soient partie prenante de la définition des enjeux stratégiques et politiques des donateurs et non seulement consultés sur la justification des projets à réaliser. C’est un tel partenariat qu’il faut créer qui peut permettre aux plus ouverts de faciliter la représentation des bénéficiaires dans les organes stratégiques, la création en commun de mécanismes financiers novateurs, l’échange d’informations stratégiques, la gestion commune de certains fonds, etc.

On peut accepter le financement direct des programmes locaux d’OING à condition qu’il y ait concertation.

En conclusions, nous invitons les donateurs à :

· Financer les réseaux existants des OING, ONG,OP et les programmes d’échanges y compris internationaux qui leur sont proposés

· Financer la recherche concrète d’alternatives faisables dans les domaines de la création d’emploi, du commerce alternatif, de systèmes et outils d’information qui permettent aux populations locales de s’organiser, des technologies alternatives, de l’accès au financement local des banques (micro-crédit) ou du gouvernement, etc.

· « Financer l’infinançable », c’est à dire la coordination, la recherche, la représentation ce qui signifie souvent des salaires de cadres des secrétariats généraux de ces mouvements.

S’asseoir enfin pour mieux définir comment de telles politiques d’aide (difficiles à faire accepter par les donateurs des ONG du Nord, il est vrai) peuvent s’élaborer et se réaliser dans le cadre de programmes ou de projets locaux ou internationaux.

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